Les grands modèles d’analyse des RPS
De nombreuses études, issues de diverses disciplines, ont été menées pour comprendre les facteurs à l’origine des situations de risques psychosociaux (RPS). Différentes approches sont mobilisables, mais celle dite du « Rapport Gollac » fait aujourd’hui référence.
Animé par Michel Gollac, sociologue et statisticien, et Marceline Bodier, statisticienne à l’INSEE, un collège d’experts a fait en 2011 la synthèse des nombreuses études existantes en France et à l’étranger. Le « Rapport Gollac » publié à la suite de ces travaux définit les RPS comme des « risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ». Il regroupe également les facteurs de RPS en 6 grandes dimensions.
Cette approche est aujourd’hui largement retenue et utilisée dans les diagnostics des RPS, dans les entreprises comme dans les structures publiques. C’est aussi l’approche préconisée par la DGAFP du ministère en charge de la fonction publique dans son guide méthodologique.
Les 6 grands facteurs de risques psychosociaux du rapport Gollac
1. L’intensité et le temps de travail
Cette dimension concerne la quantité et la complexité du travail, la pression temporelle et les difficultés de conciliation vie professionnelle et vie personnelle.
Dans la sphère publique, cette dimension peut renvoyer à de nombreuses situations de surcharge de travail, de situations de manque de moyens par rapport aux objectifs de production, de pression temporelle et d’activité en urgence pour des activités en contact avec le public ou en situations de crise. Le travail fréquent en horaires décalés ou sur des plages de nuit et de week-end est aussi concerné.
2. Les exigences émotionnelles
Cette dimension concerne les difficultés dans les relations au public, les difficultés à tenir dans les situations de souffrance ou de détresse sociale, ou encore la peur dans des contextes violents.
Dans la sphère publique, cette dimension est très présente dans les activités en relation avec le public. Tout particulièrement dans les activités de soins, de rapport à la précarité sociale, avec des situations de violence et de risques d’agression verbale ou physique.
3. L’autonomie et les marges de manœuvre
Cette dimension renvoie aux questions de monotonie des tâches, ainsi qu’à la faible possibilité de développer des compétences nouvelles.
Dans la sphère publique, cette dimension peut concerner des emplois comportant des tâches administratives répétitives, des situations avec peu de marge de manœuvre pour organiser son travail, peu de possibilités d’évolution professionnelle ou encore des situations d’ennui.
4. Les rapports sociaux et la reconnaissance au travail :
Cette dimension concerne la qualité des relations aux collègues et à la hiérarchie, mais aussi les questions de reconnaissance du travail et des capacités des personnes.
Dans la sphère publique, selon la qualité des relations d’équipe, du management, cette dimension peut concerner toutes les activités. Elle peut faire écho aux difficultés de reconnaissance du travail par l’encadrement ou par la faiblesse des processus RH de reconnaissance. Sont également en cause les questions d’équité, avec des situations de travail identiques dans des statuts sociaux différents. La question de l’image, de la valorisation sociale des activités de la fonction publique est ici également impliquée.
5. Les conflits de valeur
Cette dimension renvoie aux conflits éthiques dans le travail, à la qualité perçue comme empêchée ou au travail ressenti comme inutile.
Dans la sphère publique, cette dimension est importante, l’engagement des agents et la satisfaction au travail étant largement liés à la qualité du service rendu au public. Lorsque celle-ci n’est plus possible (manque de moyens, objectifs contradictoires, pression temporelle, situations de violence, éloignement du public, etc…), des conflits de valeur peuvent se développer et conduire à des situations de malaise, de retrait ou de de troubles psychosociaux plus graves.
6. L’insécurité de la situation de travail
Cette dimension renvoie à la question de la sécurité de l’emploi, du cadre de travail, au vécu des changements.
Dans la sphère publique, cette dimension peut concerner les agents en situation précaire relativement à leur emploi. Mais aussi les agents titulaires, avec des réorganisations qui peuvent bouleverser les cadres de travail (lieux, équipes, encadrement, missions, modalités, etc…) et sont susceptibles d’entrainer des inquiétudes par rapport aux futurs contextes de travail.
Approches complémentaires
D’autres approches ont pu être développées antérieurement ou postérieurement au rapport Gollac. Souvent, elles mettent en valeur certains facteurs particuliers ou favorisent une approche plus globale de la santé au travail.
Le modèle de Karasek
Ce modèle d’explication du stress au travail met l’accent sur la combinaison de certains facteurs : exigences de travail et demande psychologique, marges de manœuvre sur le travail et qualité du soutien social. Ce modèle s’appuie sur un questionnaire reconnu sur la question du stress et souvent utilisé.
Le modèle de Siegrist
Du nom de son auteur, Johannes Siegrist (Université de Düsseldorf), ce modèle d’explication du stress au travail met l’accent sur les déséquilibres potentiels entre les efforts fournis et les récompenses obtenues et perçues. Il s’appuie sur l’hypothèse qu’une situation de travail caractérisée par la combinaison d’efforts élevés combinée à de faibles récompenses peut engendrer des réactions pathologiques au plan émotionnel et physiologique.
Là encore, il s’agit d’un modèle validé et proposant un questionnaire opérationnel.
L’approche de la clinique de l’activité (Y. Clot - CNAM)
Cette approche plus globale sur la santé au travail met en valeur l’importance de faire un travail de qualité. Un travail dans lequel on peut se reconnaître et apprendre des choses nouvelles. L’importance des collectifs de travail où la mise en discussion de l’activité sont également traitées. Pour les tenants de cette approche, la « qualité empêchée » est à l’inverse un facteur important de risques pour la santé.
La « clinique de l’activité » est intéressante dans de nombreuses activités du service public, où la qualité de la relation au public est un facteur essentiel de détermination de la perception du travail.
L’approche de l’Anact
L’Anact a davantage développé des outils et méthodes d’analyse concrète des contextes de travail, tout en s'appuyant sur les facteurs de risques identifiés dans les divers modèles précédents et rassemblés dans le rapport Gollac. Au cœur de cette approche, C2R (Contraintes - Ressources - Régulations), modèle d'analyse pratique des risques psychosociaux en entreprise. Celui-ci repose sur une vision dynamique de la construction de la santé au travail, en mettant aussi en valeur ce qui fait ressource pour les personnes au travail. Il fait le lien entre la santé des salariés et la performance de l'entreprise.
Cette approche, centrée sur les situations de travail, part de l’hypothèse d’une tension permanente entre les exigences des salariés et celles de l’organisation. Cette tension est inhérente au travail, mais selon qu’elle est faible ou forte, on aura des situations de travail qui portent plutôt vers la bonne santé et la performance ou, au contraire, plutôt vers des situations sources de RPS.
L'approche sur les situations concrètes de travail se fait par la méthode d'analyse de "situations-problème" issues de situations vécues par les agents et perçues comme sources de tensions significatives. La démarche est participative et contribue à faire rapidement émerger des pistes de solutions.
Une synthèse des différentes approches
Modèle d’analyse | Résumé | Intérêt en contexte fonction publique |
---|---|---|
Approche « Gollac » |
6 dimensions de facteurs RPS | Reconnu et largement utilisé. Synthèse de tous les autres modèles. Approche qualitative. Peut servir de base pour des entretiens, des analyses des situations de travail |
Modèle Karasek | « latitude décisionnelle », soutien social | Reconnu et validé. Propose un questionnaire établi sur cette base (approche quantitative possible) |
Modèle Siegrist | « efforts-récompense » | Reconnu et validé. Propose un questionnaire établi sur cette base (approche quantitative possible) |
Approche Clinique activité |
Qualité du travail et des collectifs, discussion sur le travail | Approche plus large de la santé au travail. Approche qualitative. Permet d’appuyer des entretiens et analyses. |
Approche Anact |
Tensions entre contraintes et ressources, régulation (C2R) |
Méthodologie concrète de diagnostics des RPS basée sur la dynamique des facteurs de risques. Approche qualitative. Permet d’appuyer des entretiens et analyses.
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