Intégrer l’évaluation de la charge de travail dans les pratiques managériales : une agence de l’eau passe à l’action

10 fév 2025

Dans un contexte de réorganisation, la direction de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie a inscrit la formation de ses managers à l’évaluation de la charge de travail comme une priorité de son plan de prévention des RPS 2021-2024. La démarche engagée a permis de sortir d’une approche trop comptable de la charge et de favoriser l’implication des salariés dans la construction d’indicateurs au plus près des situations de travail.

agence

L’Agence de l’Eau Seine-Normandie est l’une des six structures comparables ayant pour mission le financement des ouvrages et des actions visant à préserver les ressources en eau et à lutter contre les pollutions. Elle prend en charge le bassin hydrographique de la Seine et des fleuves côtiers normands.

Pour y parvenir, elle perçoit des redevances auprès de l'ensemble des usagers et les redistribue sous forme de subventions aux acteurs du territoire qui entreprennent des actions de protection du milieu naturel. Les 400 agents de cet établissement public de l’État sont répartis entre un siège administratif à Courbevoie et six directions territoriales.

Une problématique de la gestion de la charge en lien avec la prévention des RPS

Au tout début des années 2020, suite à des réductions d’effectifs l’agence fait évoluer son organisation. Dans un tel contexte, la problématique de la gestion de la charge de travail devient la priorité numéro un du plan de prévention des risques psychosociaux (RPS) de l’établissement.

Pour passer à l’action, le comité de pilotage RPS paritaire et le CODIR prennent la décision de solliciter l’Aract d’Ile de France afin de concevoir un dispositif d’accompagnement des managers à l’évaluation et à la régulation de la charge de travail. L’objectif affiché est d’aider les responsables de service à intégrer cette dimension dans leurs pratiques managériales. Les attentes portent, tant sur la dimension organisationnelle (traiter cette question dans les services), que sur le développement des compétences managériales (être capable d’analyser la charge de travail d’un salarié).

Une démarche construite avec les managers

La régulation de la charge de travail étant d’abord une activité managériale, la démarche reposera en premier lieu sur une implication des managers. Elle cherchera donc à les mobiliser et, mieux encore, à construire la démarche avec eux.

Pour y parvenir, le choix est ainsi fait d’organiser un atelier sur ce thème à l’occasion d’un séminaire de la direction et de l’encadrement. Le modèle de questionnement de la charge proposé par l’Anact (charge prescrite, charge réelle, et charge vécue) y est mis en discussion.

Eau_1Il s’agit ensuite de poser les enjeux pour l’Agence, puis d’analyser les pratiques existantes ainsi que la faisabilité d’une telle démarche. L’idée de se confronter avec les salariés sur la notion du « travail de qualité » et de la charge vécue reçoit un écho favorable.

Trois services se portent volontaires pour une phase d’expérimentation. Deux sont finalement retenus, puis une communication est faite à l’ensemble des salariés. Le service Ressources Humaines sera le pilote de la démarche, ce qui permettra par la suite de favoriser son essaimage dans les autres unités de l’Agence.

La modalité « formation-action »

Après vérification du respect du principe du volontariat et de la perception de la démarche du côté des salariés concernés, l’intervention s’est déroulée sous forme d’une formation-action des managers. Ces derniers mettant en œuvre la démarche dans leur propre service ou de façon croisée avec leurs pairs.

Des temps d’apport de connaissances, d’animation et de recueil d’informations dans les équipes et des temps de retour d’expérience ponctuent le travail. En parallèle, des outils de recueil et de mise en forme sont proposés, que chaque encadrant peut adapter à sa situation.

Quatre temps collectifs sont ensuite proposés :

  1. Un temps pour partager le modèle de la charge de travail et préparer la démarche et le recueil de données dans chaque service, mettre en discussion les attendus et les méthodologies de recueil (individuels, collectif).
  2. Un temps de recueil de données dans les équipes et de structuration des grands facteurs de charge dans chaque métier : sont-ils du registre de la prescription, des objectifs ? Des attendus ? De la réalisation et des moyens de travail ? Des coordinations ? Du sens du travail ?
  3. Un temps de recherche des solutions et de construction du plan d’action.
  4. Un retour d’expérience et une évaluation des conditions du transfert à l’ensemble des services

A titre d’exemple, dans l’un des deux services, le cœur des préoccupations porte sur la nouvelle organisation basée sur plus de polyvalence. Certains salariés détiennent une expertise importante et ressentent une sous-utilisation de leurs compétences, en même temps qu’une mise en difficulté sur certains dossiers. C’est à partir de la mise en discussion collective, au plus près de la réalité du travail, de l’intérêt et des limites de cette nouvelle organisation que l’importance de trouver un équilibre entre les champs d’expertise des salariés et l’absorption équitable de la charge est collectivement discutée. Cela permet des ajustements et une appropriation collective de la nouvelle organisation.

SeineDans le second service, le cœur des échanges porte sur la mise en discussion d’une activité jugée essentielle par les salariés : l’animation des acteurs du territoire. 

C’est en effet cette animation qui permet l'émergence de projets de qualité. Or cette activité, bien que jugée importante par la direction, est dénuée d’indicateurs de pilotage. Elle est donc peu visible et constitue bien souvent une « variable d’ajustement » pour les salariés en cas de surcharge de travail, ce qui en retour participe d’une perception dégradée de la qualité de leur travail. Les discussions montrent aussi que les salariés expérimentés sont moins pénalisés de ce point de vue du fait de la maîtrise de l’ensemble des dispositifs et des ficelles du métier.

Dans les deux cas, les temps de restitution des travaux sont avant tout des temps d’échange de pratiques entre managers et de retour d’expérience sur le contenu, l’accueil dans les équipes et la pertinence des outils proposés.

Un bilan pour cette première expérimentation

Ainsi dans l’un des services, le travail ainsi réalisé permettra d’étoffer le plan d’action imaginé par les encadrants. Sept pistes d’actions sont dorénavant identifiées. Elles visent deux objectifs : augmenter l’efficience du travail (montée en compétences, enrichir les coopérations, améliorer l’accès à l’information…) et alléger la charge de travail (mise en discussion des exigences et de la qualité du travail, choix collectif des priorisations des domaines d’action de l’Agence, simplification des rendus écrits…)

L’un des managers souligne que, si l’investissement en temps est conséquent, ce travail a « fait bouger les lignes ». C’est la construction collective et la confrontation des points de vue qui permet de faire des choix collectivement, avec une prise en compte de tous les enjeux : « les salariés deviennent acteurs de leur charge de travail ».

Les managers avaient, certes, déjà une pratique de conduite de projet participative. Mais ils n’avaient pas, comme le dit l’un d’eux, l’occasion de « questionner aussi finement le travail et les métiers », de « sortir d’une approche comptable de la charge ». La démarche a fait progresser leur compréhension de la réalité du travail et leur perception de ce qui fait sens pour les agents. In fine, elle leur permet de mieux appréhender les leviers et les moteurs de la motivation.

Ils en retirent enfin une source de satisfaction. L’une d’elle confie ainsi à l’issue de la démarche : « C'est plutôt positif du point du manager parce que tous les salariés se sont lancés dans la démarche et puis on voit que finalement si on en vient à discuter du sens et de la reconnaissance, c'est que les agents ont plaisir à travailler, qu’ils ont à cœur de faire bien leur travail et donc ça pour un manager c'est très positif, c’est l’amélioration de leurs conditions de travail. Et ça c'est aussi très positif à recevoir pour un manager !». Et son collègue de compléter : « le chemin est aussi important que l’arrivée »

Eau_2Les conditions de l’essaimage

En fin de démarche, un séminaire de restitution à l’ensemble de l’encadrement est organisé, en présence de la direction. Il permet de mettre en discussion ce travail entre pairs et d’engager la phase d’essaimage.

Un parcours pédagogique est ainsi construit par l’Aract IDF à l’issue de cette première démarche. Accessible en ligne, il a pour objectif de faciliter le transfert à l’ensemble des managers et le déploiement auprès de l’ensemble des équipes.

Une seconde expérimentation lancée à la rentrée 2023

Toujours comme suite au séminaire de restitution, la décision a été prise de lancer l'accompagnement d'un second groupe de managers à la rentrée de l'année 2023.

L’accompagnement sera cette fois-ci plus court et davantage centré sur des échanges sur la base des travaux intersession. 

Il vise également à tester la pertinence des outils et comprend un travail sur la charge de travail des encadrants de premier niveau (réalisée par un N+2).

 

Les facteurs de réussite identifiés

Le retour d’expérience organisé avec les managers concernés met en évidence quelques points de vigilance qui sont autant de facteurs de réussite pour un tel projet :

  • Assurer l’engagement de la direction, garant de la légitimité et pérennité du dispositif.
  • Identifier et prendre en compte les enjeux pour les manager, en attente d’une méthodologie pour aborder cette question correctement.
  • Garantir un cadre sécurisé pour l’expression dans les phases collectives : l’intervenante de l’Aract se tenait à la disposition des managers pour un appui éventuel dans le travail intersessions.
  • Valoriser également ce qui se passe bien dans le service.
  • Garantir les ressources nécessaires au projet : respect des étapes et de la méthodologie, importance d’un calendrier, …
  • Aboutir à un plan d’action pour répondre aux attentes des salariés.

 

Pour aller plus loin

Crédit photos : captures videos de l'Agence de l'eau Seine-Normandie

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